La justice écologique à Bendum : Une expérience de conversion

La justice écologique à Bendum : Une expérience de conversion

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Père Admire avec les jeunes dans la forêt de Bendum

Nhika Rufaro Admire SJ (Le traducteur d’anglais en français : Irénée Ouedrago SJ et Pierre Claver SJ pour le montage)

Je suis un prêtre jésuite du Zimbabwe, appartenant à la province jésuite du Zimbabwe/Mozambique. Je suis venu aux Philippines début septembre 2019 pour un programme de tertiaire (le troisième an) de six mois organisés par la Conférence des jésuites d’Asie Pacifique.

Le troisième an est officiellement la dernière étape de la formation jésuite et une préparation à la pleine incorporation dans la Compagnie de Jésus par la profession des vœux définitifs qui peuvent être prononcés à tout moment après l’achèvement de ce programme. C’est une période de réflexion sur sa vocation et son engagement dans sa vie de jésuite.

Il vient après de nombreuses années de formation et d’expériences de travail apostolique. C’est dans ce contexte que le jésuite doit discerner la nature de son appel à travers un temps de renouvellement de son objectif, facilité par divers expériments qui comprennent des exercices spirituels, l’étude sapientielle des Constitutions et des Congrégations générales, et l’engagement dans certains apostolats jésuites.

Tout cela pour voir comment le Seigneur opère dans la vie personnelle du jésuite en tant que contemplatif en action dans les diverses expériences qu’il subit en répondant à la mission du Seigneur.

Mon penchant était orienté vers quelque chose en rapport avec l’écologie, car je n’avais jamais été impliqué dans ce domaine auparavant. J’avais l’impression de manquer de quelque chose.

Le pape François ayant beaucoup parlé d’écologie et de soins à notre maison commune, les commentaires et les publications des jésuites impliqués dans la justice écologique, et l’écologie étant l’une des Préférences Apostoliques Universelles (PAU) de la Compagnie de Jésus, il était opportun pour moi d’essayer de m’engager. C’est donc devenu un moment d’apprentissage et aussi d’offrande de moi-même par l’engagement avec les gens de la communauté.

Dans ma quête pour m’engager dans le travail de justice écologique, j’ai fait un séjour de trois semaines à Bendum, un village situé au nord de Mindanao, dans le district de la mission de Bukidnon. C’était une façon pour moi de me familiariser avec ce qui se passe sur le terrain et avec la façon dont les jésuites entreprennent cet apostolat.

Avant de venir à Bendum, j’ai fait un bref séjour de cinq jours à Xavier University-Ateneo de Cagayan, où les jésuites travaillent également. J’ai réussi à me familiariser avec les activités écologiques du pôle de développement social, en particulier dans les zones côtières, grâce au McKeough Marine Centre. Cependant, mon séjour et mon engagement les plus importants ont été à Bendum, où je baserai cette réflexion.

Inspirations

Ma première sortie dans la forêt de Bendum s’est faite avec un groupe d’élèves de 12eannée (correspondante à la classe de Tle dans le système éducatif français) et leurs instructeurs. Au cours de cette excursion, on a posé la question suivante à l’un des élèves :

« Supposons qu’une grande entreprise vienne avec une proposition de construction d’une autoroute reliant les villages pour favoriser le développement, accepteriez-vous cette proposition ou choisiriez-vous de laisser les choses telles qu’elles sont ? »

L’élève a décliné la proposition, optant pour le maintien de la forêt sans qu’elle soit réduite ou détruite. La raison qu’il a donnée est que « c’est notre forêt et nos vies dépendent d’elle, de ses ressources, en particulier de l’eau qui est une eau propre contrairement à celle que l’on trouve dans les villes. La forêt nous donne beaucoup d’eau propre, ainsi que de la nourriture et d’autres herbes. La construction d’une autoroute profiterait à d’autres personnes qui transporteraient leurs produits, mais cela entraînerait un coût terrible pour la source d’eau et attirerait également d’autres colonies le long de la route, ce qui à son tour détruirait totalement la forêt, entraînant la destruction de nos moyens de subsistance. Une telle décision appauvrirait à son tour notre peuple »

J’ai été impressionné par la réaction de cet élève qui a fait preuve d’un fort sentiment d’appartenance et de propriété collective de leur forêt. Ils appartiennent à la forêt et la forêt leur appartient.

Mon expérience à Bendum est que, dans une plus large mesure, les élèves et les membres du personnel que j’ai rencontré ont une forte dévotion pour leur forêt. C’est un amour particulier qui est réciproque, et il y a une reconnaissance et une appréciation de leur forêt. Ils ont le sentiment que la forêt fait beaucoup de travail pour eux, qu’elle les soutient et qu’il est de leur devoir de la chérir et de la sauvegarder. Ce n’est pas qu’un simple buisson avec des arbres, de l’herbe et une rivière, mais quelque chose de précieux, de beau, toujours fidèle pour donner la vie et les soutenir même dans les moments difficiles.

There is clean water to drink for the Bendum community as they manage and protect their water source.
There is clean water to drink for the Bendum community as they manage and protect their water source.

Les ressources de la forêt sont utilisées de manière durable. Elles ont bénéficié à de nombreuses générations avant elles, et elles devraient donc continuer à bénéficier aux générations suivantes. La forêt fait partie de leur vie, elle fait partie de leur culture.

Cela m’a permis de voir la réalité sous un angle plus profond. Une façon sûre de comprendre comment le développement durable prend racine est lorsqu’il est soutenu par la communauté et la culture des gens.

Il y a une réponse plus large, multidimensionnelle, lorsque je cherche à comprendre et à apprendre la justice écologique. Bendum est une parfaite illustration où la justice écologique est vécue, non pas de manière superficielle, mais de manière intégrale.

Il y a une connectivité entre l’écologie, l’agriculture, l’éducation, la culture et le peuple. Rien n’est négligé au détriment de l’autre. C’est une relation symbiotique de diverses dimensions et partenaires où la valeur intrinsèque de chaque partie est respectée et n’est pas utilisée sans tenir compte de sa continuité.

Ces valeurs sont transmises aux jeunes par le biais du système éducatif fourni par le Centre culturel et éducatif Apu Palamguwan (APC) qui gère une école indigène officiellement reconnue par le ministère de l’éducation. L’école de l’APC a un campus principal à Bendum qui offre un enseignement de base de la maternelle à la 12e année et quatre écoles de liaison dans d’autres villages du bassin versant du Haut Pulangi où se trouve Bendum.

Environ 400 élèves de Bendum et des villages environnants apprennent par le biais du système d’éducation basé sur la culture qui adopte un apprentissage en accord avec le contexte dans lequel la personne se trouve. Le programme d’études est adapté à leur mode de vie et les cours intègrent leur environnement et sont intégrés.

Il s’agit d’une éducation qui ne s’éloigne pas de l’identité, de la langue et de la culture des apprenants indigènes, mais qui les assume, les apprend en utilisant leur langue maternelle et, plus tard, s’engage dans d’autres aspects du monde extérieur. Cela permet à l’étudiant de ne pas se replier sur lui-même et de ne pas être exposé à différents contextes et cultures, mais de s’engager de manière critique dans sa culture et dans celle qu’il rencontre.

Les élèves sont préparés à pouvoir dialoguer avec d’autres personnes différentes, sans porter atteinte à leur propre identité. La réaction et les intérêts des étudiants que j’ai rencontrés ont été très positifs lorsque j’ai assisté à leurs cours. Le contenu des cours comportait des questions et des illustrations auxquelles ils se rapportaient, et il était facile pour eux de participer et de saisir différents concepts.

Conversations : Nouvelles leçons

Éco-agriculture

Dans une autre discussion que j’ai eue avec Arnel, qui est le responsable de la ferme d’éco-agriculture, il m’a fait part des avantages d’une agriculture écologique qui prend en compte l’environnement.

En ce qui concerne la forêt et la rivière, il a noté que dans certaines régions pas très éloignées, les rivières ont tendance à devenir de plus en plus envasées et l’eau est sale. Cela est dû à des méthodes agricoles qui ne prennent pas en considération l’environnement, comme la plantation de cultures le long des rivages des rivières, ce qui entraîne la pollution par l’envasement.

En outre, l’agriculture biologique présente des avantages à long terme par rapport à l’utilisation d’engrais chimiques qui ont lentement un impact négatif sur les sols et sur les eaux souterraines et fluviales. Comme cela se produit lentement, beaucoup de gens ont tendance à l’ignorer car les engrais chimiques ont un rendement monétaire à court terme mais ont tendance à être plus coûteux à long terme.

À l’inverse, les engrais organiques, comme le fumier, sont plus exigeants en main-d’œuvre au début, mais cette tendance s’atténue avec le temps. Ils sont également plus bénéfiques pour la vie et sont durables. En raison des avantages économiques rapides, les gens utilisent des engrais chimiques, défrichent les forêts et détruisent ainsi la flore et la faune de leurs régions.

À long terme, les ressources de la forêt sont épuisées, ce qui oblige les gens à migrer vers les villes à la recherche d’une vie et d’un emploi meilleur. Dans de nombreux cas, cela ne s’avère pas bénéfique car ils finissent par occuper des emplois très mal payés, du moins s’ils obtiennent ces emplois car les villes sont déjà surpeuplées. Ce scénario entraîne une aggravation des problèmes socio-économiques.

Connectivité

J’ai appris à mieux comprendre comment les humains sont intrinsèquement liés à leur environnement d’une manière dont nous ne sommes peut-être pas conscients. En d’autres termes, tout ce que nous faisons à notre environnement a un impact sur nous.

La biodiversité dépend également de l’environnement dans lequel ils s’épanouissent et donnent la vie. En fait, il existe de nombreux écosystèmes à différents niveaux qui se soutiennent mutuellement comme ils soutiennent les humains. Cela est lié au type de sols et au climat de la région.

Arnel m’a fait remarquer que ce n’est pas seulement la plantation d’arbres qui est utile, mais le fait d’arriver à savoir quel type d’arbre. Certains arbres ont tendance à nuire à la biodiversité s’ils sont plantés dans une zone où ils ne sont pas censés être. Les deux exemples qu’il a donnés sont les espèces d’arbres les plus communes aux Philippines : le falcata et l’acajou. Elles ont généralement une plus grande valeur économique, mais elles sont étrangères aux écosystèmes de la région et leur présence est contre-productive pour les autres arbres et plantes. Le gouvernement a interdit l’exploitation forestière, sauf pour ces deux espèces.

Gestion des bassins versants

Un point d’encouragement est la façon dont les bassins sont entretenus, et comment à Bendum ils ne sont pas dérangés.

Mon expérience dans de nombreuses villes montre que les gouvernements locaux détruisent les bassins hydriques par la construction d’édifices et la commercialisation de ces zones – qui finissent par être vidées de leur eau sans aucun moyen de maintenir la nappe phréatique. Je sais maintenant qu’il s’agit d’une attitude consumériste qui consiste à ne considérer que des fins économiques tout en ignorant d’autres questions qui sont connexes. De tels mouvements expliquent l’épuisement général des nappes phréatiques et la difficulté d’accès à l’eau potable des rivières et autres points d’eau.

La justice intergénérationnelle

Il est assez effrayant de constater que la génération actuelle est sur le point d’épuiser les ressources qui permettront aux générations suivantes de survivre. Le pape François l’a souligné dans Laudato Si’ et d’autres écrits, où il parle du consumérisme et d’une culture du gaspillage qui considère d’autres entités comme des objets à exploiter.

Mon sentiment de la profondeur de cette injustice et de ce que nous nous devons à nous-mêmes et aux générations futures est devenu si fort lorsque je suis venu à Bendum. Il semble y avoir un manque général de conscience chez beaucoup de gens et une grande indifférence à essayer de réfléchir plus profondément et d’agir.

Signe d’espoir

Bendum offre un certain espoir de comprendre qu’il y a des gens qui communiquent au monde le message que quelque chose peut être fait au niveau individuel, au niveau communautaire et au niveau national. Malheureusement, la réponse n’est pas aussi forte de la part de nombreuses personnes et de nombreuses organisations, notamment dans les secteurs publics et privés.

J’ai trouvé encourageant d’entendre des élèves de 10e, 11e et 12e années mentionner qu’ils souhaitent aller à l’université et étudier la gestion des forêts ou devenir agriculteurs. C’était la première fois que je me rendais compte qu’il s’agit d’un vaste domaine d’études scientifiques qui peut être poursuivi.

Grâce à l’éducation, à la compréhension et au sentiment d’appartenance, les jeunes peuvent s’engager facilement dans le monde extérieur tout en conservant leur culture. C’est ce que démontrent les anciens diplômés qui sont aujourd’hui enseignants et instructeurs à Bendum.

Autodiagnostic

La rencontre avec les gens d’ici et les œuvres m’a conduit à un certain autodiagnostic de ma situation, en tant qu’individu et aussi en tant que membre de la société :

L’un des principaux revers est d’être submergé par les problèmes et de penser que ce que je fais en tant qu’individu est trop peu, trop tard. Cependant, cette attitude a un impact négatif sur les autres qui pourraient vouloir faire des actions similaires, et donc nous ne trouverons jamais de solutions dans notre quête. Si les habitants de Bendum avaient fait de même, ce serait la même triste histoire de dégradation écologique.

La seconde est qu’il faut changer son mode de vie et ne pas se focaliser sur des résultats rapides, car les processus écologiques prennent du temps et se développent très lentement.

Troisièmement, il y a le jeu des reproches que nous devrions arrêter. Nous ne sommes peut-être pas des acteurs majeurs dans le travail de justice écologique, mais cela ne doit pas nous amener à adopter une attitude résignée et à ne plus nous impliquer. Nous ne pouvons pas nous contenter de dire que les grandes entreprises devraient faire attention et que les grandes nations qui émettent le plus de carbone devraient trouver des moyens de résoudre le problème pour tout le monde, car ce sont elles les principaux coupables. Alors qu’il existe des acteurs plus importants qui provoquent le réchauffement climatique ou extraient des ressources et qui doivent trouver de nouvelles alternatives, se concentrer sur ces dernières sans rien faire servira d’excuse boiteuse qui ignorera le fait qu’il existe des micro-écosystèmes qui ont besoin d’être entretenus par un niveau communautaire inférieur. Cela signifierait que les services écologiques fournis par les micro-écosystèmes sont perdus.

Enfin, cela touche à de nombreux problèmes auxquels nous sommes confrontés dans le monde – des gains exclusifs à court terme au détriment de pertes inclusives à moyen et long terme. Les gens ont tendance à être attirés par les avantages à court terme tout en ignorant les conséquences négatives à long terme. Cette situation est à l’origine de nombreuses injustices envers l’environnement et les communautés locales indigènes.

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Planter un arbre indigène, qui a besoin de soins et d’entretien

Réflexion spirituelle

La création communique l’amour de Dieu, car elle est généreuse dans les ressources qu’elle me donne. La reconnaissance des services écologiques offerts par la forêt – vivre dans sa proximité, faire partie de sa vie, de sa beauté – nous amène à contempler comment Dieu donne silencieusement vie à de nombreuses vies et je reçois la vie de cela aussi.

En tant que Co créateur, je participe à cette vie en lui offrant en retour, en l’entretenant et en en étant son bénéficiaire. On ressent une unité de soi avec la création à travers cette interdépendance mutuelle embrassée dans l’amour de Dieu.

Une telle contemplation me communique de façon inspirée que je peux et que je profite abondamment de la nature sans avoir besoin d’en abuser en brûlant et en défrichant la forêt par des coupes inutiles. Les forêts sont un bien commun, elles doivent être gérées de manière durable, en sachant que certaines de leurs zones ne peuvent être utilisées à des fins commerciales.

Il s’agit également d’une inspiration vers une simplicité de vie et de ne pas acquérir des choses inutiles comme des fins en soi.

C’est aussi une invitation à être solidaire des autres dans le travail, à apprendre les uns des autres, à partager des idées et à s’encourager mutuellement, où que je sois dans le monde.

Ma spiritualité me donne de l’espoir. Je pense à l’épisode où Jésus dit à ses disciples de donner de la nourriture aux foules alors qu’il n’y avait que cinq pains et deux poissons. Aussi petit soit-il, Jésus a multiplié et nourri les gens au maximum – 5 000 personnes avec 12 paniers de restes. Le peu que je peux faire n’est pas en vain et une combinaison de sociétés faisant ce qu’elles peuvent qualifier de peu, lorsqu’elles agissent ensemble et de manière solidaire, produira beaucoup de fruits.

Les ressources partagées des forêts à Bendum rassemblent les gens qui travaillent en solidarité, non pas pour les exploiter mais pour les récolter de manière durable. La confiance et l’assurance règnent pour eux-mêmes et pour les générations futures. L’expérience de Bendum a donc été une expérience de conversion.

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