
Alirio Cáceres Aguirre
Comme il l’a demandé à des jeunes venus d’Argentine lors des Journées Mondiales de la Jeunesse 2013 (Brésil), le pape François est en train de “faire du bruit” en tant que porte-parole d’une Église qui veut aller au dehors pour trouver Dieu présent dans l’histoire.
L’ encyclique Laudato si’ est adressée non seulement aux catholiques, mais à toute personne de bonne volonté. Le Pape fait lui-même – comme un petit jeune à 78 ans – ce qu’il avait proposé: “J’espère qu’il y aura du bruit. Ici, il y aura du bruit, j’en suis convaincu. Ici, à Rio il y aura beaucoup de bruit, et il n’y a pas de doute là-dessus. Mais je veux que vous vous fassiez entendre dans vos diocèses, je veux que le bruit se répande, je veux que l’Église aille dans les rues, je veux que nous résistions à tout ce qui est mondain, tout ce qui est statique, tout ce qui est confortable, tout ce qui a à voir avec le cléricalisme, tout ce qui pourrait nous rendre fermés sur nous-mêmes. Les paroisses, les écoles, les institutions sont faites pour aller au dehors …”
Les message veut que l’Église quitte sa “zone de confort” et de se mettre au service de l’humanité. Dans ce contexte, la crise environnementale devient une excuse efficace pour que nous nous engagions à des changements profonds dans la façon dont nous vivons notre foi. L’écologie est une question universelle. Il n’y a pas une seule personne, une institution, un État, une ONG ou une organisation religieuse qui peut se mettre à l’écart de la détérioration des conditions de vie sur terre.
Le changement climatique est un problème transversal sans distinction de foi, nationalité, sexe ou idéologie et affecte l’ensemble de l’humanité (Mt 5: 45). Ce n’est pas anodin que l’encyclique ait été signée à la fête de Pentecôte, et qu’elle ait été présentée au Vatican par un orthodoxe, un scientifique, un cardinal africain et une femme d’Asie. Le Pape François est à la recherche de l’unité, tout en reconnaissant la diversité. La louange au Seigneur vient conjointement avec l’effusion du Saint-Esprit dans une perspective de relations à l’intérieur de la Trinité que nous pouvons voir dans le document.
L’encyclique fait du bruit avant même sa publication. Elle fait du bruit parce qu’elle traite d’un problème général habituellement associé aux sciences naturelles. Le dialogue entre la foi et la raison, la théologie et la science, ne sont pas encore bien compris à la fois dans la société et dans l’Église.
Faites du bruit, parce que le pape François est en train de faire de l’Église un acteur social qui inquiète et s’implique dans le concret de l’humain. Certains pensent encore que l’Église ne devrait traiter que du “spirituel” et du salut des âmes sans s’impliquer dans les décisions politiques, économiques ou technologiques.
Il est également en train de faire du bruit puisqu’il parle d’autres traditions religieuses, et cite même le philosophe musulman Ali Al-Kawwas, le Patriarche orthodoxe Bartholomée, le philosophe Protestant Paul Ricoeur, et le controversé visionnaire catholique Teilhard de Chardin.
Il fait du bruit parce qu’il dénonce le système économique qui est en train de détruire la vie et octroie des privilèges et profits à un tout petit nombre contre la dignité d’une multitude qui représente les générations présentes et futures. Parmi celles-ci, une immense majorité vit dans la pauvreté.
Il fait du bruit parce que là où beaucoup voient des ressources naturelles à exploiter, il offre une vision sacrée de chaque être et les connexions inter-relationelles auxquelles ils appartiennent, qui est la création de Dieu.
Dans ce cadre, il fait du bruit pour ceux qui doutent de la figure de François d’Assise, le voyant comme trop doux et neutre, mais Laudato si’ a une vision cosmique et le sens profond de célébrer la liturgie “sur l’autel de l’univers.”
Enfin, le thème choisi pour l’Encyclique est profondément complexe et n’est pas exempt de controverse. Mon intuition est que le pape François est pleinement conscient, mais précisément il a discerné de le faire, faisant du bruit à l’échelle planétaire. La stratégie de communication, la qualité et la large base de consultation, et les conseils qu’il a fournis tout au long de ces discours et homélies, montrent la volonté. Je tiens à souligner la stratégie de communication, le compte @Pontifex qui tweetait une ou deux fois chaque jour, a tweeté plus de 60 fois en 24 heures avec des extraits de l’Encyclique!
Il est connu qu’en Juillet, il ce compte sera développé en une stratégie pédagogique de sorte que la réception de l’Encyclique sera plus active et proactive. Ce sera beaucoup de travail avec la confiance profonde sur l’action du Saint-Esprit qui renouvelle la face de la Terre.
Aujourd’hui #LaudatoSi est un sujet tendance, et il le sera dans les forums ecclésial, ecumenique, économiques et politiques, en particulier dans “l’aréopage” où les mesures de lutte contre le changement climatique seront abordés. Là, certainement, il y aura du bruit parce que nous entrons dans des considérations éthiques inspirées par une conception sacrée de la vie.
Cela permettra également de faire glisser l’attention, comme le Pape nous invite à une “conversion écologique” qui mène à une “écologie quotidienne” capable de lire “l’Évangile de la Création.” Dans ce scénario, le rôle de l’Église comme “maison et école de la communion” prend de nouvelles proportions. Il y a un immense défi à élaborer des programmes d’éducation écologique qui peuvent conduire à un changement culturel, et en même temps une transformation technologique a lieu et nous retrouvons la perspective humaine de l’économie.
Le ton de l’Encyclique n’est pas inconnu par l’Église en Amérique latine, et même si elle suit les enseignements du Concile Vatican II, Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI, ille a une forte référence à Aparecida tant dans la manière de parler de l’écologie et dans la méthodologie: à voir la réalité à partir de l’identité chrétienne, de juger et discerner à partir de l’Écriture et de la théologie, et à agir pour la transformation sans perdre le sens de la célébration.
En outre, le fait de citer des textes de Conférences épiscopales de la Bolivie, du Paraguay, du Brésil, de la République dominicaine, du Mexique et de l’Argentine contribue à donner une perspective locale en même temps que celles de la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, et des Philippines. Il y a un large regard sur l’ensemble de la maison commune qui est en train de devenir une immense poubelle à cause de la culture du gaspillage.
Il est clair que la racine épistémologique pour atteindre ces affirmations réside dans un paradigme de relations complexes et cela a des implications profondes dans la façon dont nous comprenons la divinité. Il ne s’agit plus d’un Dieu seul, mais un Dieu solidaire, un Dieu en relation, une relation d’amour profond, un Dieu qui communique et interagis avec sa création.
Je suis à la fin de ce commentaire et il y aura encore plusieurs occasions d’aller en profondeur avec l’Encyclique. Je voudrais seulement souligner deux problèmes majeurs dans notre région: les activités extractives et l’augmentation des conflits environnementaux en raison de la voracité des marchés. Les gouvernements et les entreprises ne semblent pas prêts à réduire leurs ambitions. Peut-être que nous pouvons avoir de l’influence dans des pays avec un héritage chrétien, mais comment pouvons-nous parler avec la Chine, par exemple?
Chaque texte a un contexte et une raison. Laudato si’ a la force de la parole prophétique et elle fera sans doute beaucoup de bruit. L’Église, le monde, le mouvement ecuménique ni le dialogue interreligieux ne seront plus les mêmes après que cette Pentecôte est rendue concrète avec Laudato si’. Ni d’ailleurs le mouvement environnemental ne sera le même. En fait, l’écologie cesse d’être “verte” pour devenir multicolore. Le soin de la maison commune doit à nouveau cohabiter avec la polychromie de la vie et se réconcilier avec la création, dont nous faisons partie.

Professeur Alirio Cáceres Aguirre est un des fondateurs de Ecoteologia au Pontificia Universidad Javeriana à Bogota, Colombie. Il est également diacre permanent pour l’Archidiocèse de Bogota, représentant de l’archidiocèse pour le soin de la création, coordinateur de la Mesa Ecoteológica Interreligiosa de Bogotá DC, membre de l’équipe consultative du ministère de la Justice et de la Solidarité (DEJUSOL ou Departamento de Justicia y Solidaridad) du Conseil épiscopal de l’Amérique Latine (CELAM ou Consejo Episcopal Latinoamericano) sur les activités extractives et du réseau “Églises et Mines.” Il est également un ingénieur chimiste et spécialiste de l’éducation, un magister en théologie, auditeur pour ISO 14001 et OHSAS 18000 et sert actuellement en tant que conseiller et consultant sur des projets environnementaux, et sur l’éducation écologique et pastorale. Il peut être contacté par e-mail: ecoteologia(at)gmail.com.