José Ignacio García, SJ (Traduit de l’Anglais par Setibo Batuzolele, SJ)
La Compagnie de Jésus a quelques particularités dans sa forme de gouvernement. Alors que les organes suprêmes d’autres congrégations religieuses se réunissent périodiquement tous les trois, quatre ou cinq ans, pour les jésuites, leur organe suprême appelé la Congrégation Générale (CG) ne se réunit que pour élire un nouveau Supérieur Général pour cause de décès, d’incapacité, ou de démission.
En effet, dans la Compagnie de Jésus, le Supérieur Général est élu «à vie», quelque chose de très inhabituel de notre temps, mais cela a été établi de cette façon par le fondateur, saint Ignace de Loyola, et c’est resté ainsi pendant plus de 400 ans.
L’élection du Supérieur Général est un temps plein de symbolisme pour les jésuites, mais ce temps est également important parce que le Supérieur Général de la Compagnie de Jésus en dirige l’orientation apostolique. La 36ème Congrégation Générale ou CG 36, qui se tiendra à Rome à partir du 3 Octobre 2016, a comme première tâche l’élection du nouveau Supérieur général, successeur du Père Adolfo Nicolás.
Mais le CG est aussi le moment où de nouvelles lignes d’action sont identifiées, ou celles précédemment établies sont confirmées. Comme l’a dit le Père Nicolas récemment interrogé sur ses attentes pour la CG 36: «Cette observation comporte mes attentes. Ainsi, j’espère que les fruits de la Congrégation seront une meilleure vie religieuse dans l’esprit de l’Evangile et une nouvelle imagination dans l’approche de notre mission.»
Nous pouvons dire que cette «imagination renouvelée», cette capacité à regarder plus loin et en profondeur, serait souhaitée par beaucoup comme résultat de la CG 36.
Depuis que la CG 32 (1975), sous la direction du Père Pedro Arrupe, a défini la mission de la Compagnie de Jésus comme «le service de la foi, dont la promotion de la justice est une exigence absolue» (Décret 4, numéro 2), les jésuites se sont efforcés de vivre une «foi qui fait justice.»
Il n’a pas toujours été facile, ni évident quant à comment les jésuites portent et mènent cette vocation. Le monde nous a placés totalement dans des contextes contradictoires. Alors que certains jésuites vivaient dans les sociétés riches et consuméristes, d’autres sont restés sous des régimes totalitaires qui niaient les libertés fondamentales telles que la liberté religieuse. D’autres compagnons vivaient l’appel à promouvoir la justice dans des sociétés où une petite élite, par l’usage de la violence, gardait la majorité de la population dans l’extrême pauvreté.
La CG 34 (1995) a confirmé la mission de la Compagnie de Jésus comme «le service de la foi et la promotion de la justice», mais a rappelé l’importance du contexte dans lequel ces actions sont menées, d’où il est nécessaire d’être attentif aux contextes culturels, et très précisément, à la dimension inter-religieuse.
Mais outre cela, la CG 34 a rappelé l’importance du «dialogue» comme la catégorie qui doit guider toutes nos actions. Essayer de surmonter les moments où la violence ou le contrôle politique ont provoqué des réactions plus polarisées, la Compagnie de Jésus recherche le dialogue comme témoignage éloquent de Jésus, le Verbe incarné.
La CG 35 (2008) a confirmé une nouvelle fois le duo «foi et justice» mais a noté que cette mission est un ministère de réconciliation – avec Dieu, avec les autres et avec la création (Décret 3, les numéros 12 et 31-36).
Pour la première fois, la Compagnie de Jésus, a reconnu dans l’un de ses documents officiels la place fondamentale de sa responsabilité institutionnelle environnementale. Cette déclaration de la CG sera renforcée plus tard avec le document Guérir un monde brisé (2011) par le Secrétariat pour la Justice Sociale et de l’Ecologie, qui a fourni une prise de conscience beaucoup plus large chez les jésuites et leurs collaborateurs.
Dans ce bref et simplifié tour d’horizon, il y a une prise de conscience croissante dans la Compagnie de Jésus sur l’importance des défis de l’environnement de notre temps. Nous reconnaissons que nous avons progressé, et nous continuons à progresser, mais beaucoup plus lentement que la société civile.
Certes, le mouvement environnemental, la communauté de recherche scientifique, et même l’industrie et le monde des affaires, ont développé plus rapidement la conscience de la crise écologique. Et si l’on considère certains pays particuliers tels que l’Allemagne ou les pays nordiques, en Europe, nous devons reconnaître que les préoccupations environnementales temporaires ne sont pas une mode passagère, mais font partie d’une forte conscience sociale.
Dans l’Église Catholique, dont la réponse à la crise écologique a également été tardive, sauf pour certaines déclarations solides, l’encyclique Laudato si’ du Pape François (2015) a été un énorme coup de pouce, d’abord pour la sensibilisation, mais aussi, nous l’espérons vivement, dans la promotion de l’action communautaire menée par l’Église.
Le Pape François a souligné le lien entre la crise environnementale et la crise sociale que nous vivons. La pauvreté, l’exclusion sociale et la marginalisation sont profondément liés à la dégradation de l’environnement. Ce ne sont pas deux crises séparées mais une seule qui est le symptôme de quelque chose de beaucoup plus profond provoqué par la mauvaise manière dont nos sociétés sont organisées en termes de production et de consommation mais aussi un système économique qui a une logique prédatrice et encourage une culture du gaspillage, à la fois des ressources naturelles et des personnes.
Par conséquent, insiste le Pape François, la solution exige une réponse profonde et radicale. Nous devons réorienter le sens de notre développement si nous voulons qu’il devienne durable et ne se contente pas de changements superficiels. Nous avons besoin d’une nouvelle façon de produire et de consommer si nous voulons mettre la création de Dieu au centre : celle-ci est, les êtres humains et la nature.
La CG 36, dans «l’exercice d’imagination» proposée par le Père Nicolas, sera-t-elle en mesure d’offrir de nouvelles perspectives de sorte que la Compagnie de Jésus puisse répondre – comme un corps – aux défis environnementaux et à la pauvreté auxquels notre monde est confronté?
Nous Jésuites, serons-nous capables de lire les signes de temps – parfois dramatiques et sans doute menaçants?
Les fondamentaux sont déjà placés après les développements que nous avons décrits dans l’Eglise et dans la société. Nous ne pouvons pas attendre moins de la CG 36 que ce qui est déjà proposé par le Pape François dans Laudato si’ ou ce que la Compagnie de Jésus a proposé de faire pour la «guérison d’un monde blessé.»
L’«exercice de l’imagination» ne doit pas être dirigé dans la production de plus de déclarations – en fait, il serait difficile d’amender ce qui est déjà présenté par Laudato si’ – mais la CG devrait recommander les mesures prises par les communautés et les institutions jésuites dans un engagement social plus large.
Évidemment, il est impossible de savoir aujourd’hui ce que la Congrégation va discuter, mais certaines questions devraient nécessairement figurer sur son ordre du jour.
Le style de vie, à la fois personnel et communautaire
Il existe une vaste gamme d’initiatives qui peuvent être mises en œuvre et hormis la bonne volonté, des conseils compétents des professionnels et des praticiens doivent être recherchés pour une action plus efficace dans les économies d’énergie, l’adaptation des bâtiments, la consommation responsable, entre autres.
L’accompagnement et la proximité par rapports aux communautés les plus vulnérables
Sans cette proximité, il sera impossible de comprendre l’ampleur des défis et comment les communautés peuvent y répondre. Une attention particulière doit être accordée aux régions comme l’Amazonie ou le bassin du Congo, étant donné que ces réserves environnementales sont essentielles pour l’avenir de l’Humanité. Ces régions sont aussi plus sensibles aux impacts du changement climatique, et leur dégradation ou leur destruction causera beaucoup de souffrances, des pertes en vies humaines et le déplacement de millions de personnes.
La gestion responsable de nos investissements
Des fonds des provinces sont nécessaires pour soutenir les œuvres apostoliques, mais doivent être investis avec intégrité. Certains des problèmes actuels les plus importants consistent à désinvestir les capitaux dans des industries de combustibles fossiles ou s’assurer que les institutions Jésuites n’investissent pas dans les entreprises impliquées dans le pillage des ressources naturelles.
Approfondir la contribution de nos établissements d’enseignement
C’est non seulement l’«excellence» de nos étudiants de développer des compétences professionnelles qui mèneront à la réussite des carrières bien rémunérés. L’éducation «pour les autres» devrait inclure les hommes, les femmes et la création. Nos établissements d’enseignement doivent être des leaders dans la promotion de la durabilité sociale et environnementale et dans la transformation de l’«excellence» en «leadership pour le service.»
La célébration de la Création comme un don que nous recevons
Alors que la contemplation de l’Incarnation dans les Exercices Spirituels nous plonge dans la dynamique du salut que Dieu offre, il faut se rendre compte que ce salut inclut toute la création et aussi l’environnement dans lequel nous vivons. Nous avons besoin de célébrer la création et apprécier «tant de bien que nous avons reçu.» Seule la gratitude, ainsi que nous l’apprend la spiritualité ignatienne, a la capacité de mobiliser pour suivre le Seigneur dans un engagement à long terme et sans aucune idéologie.
Alors que nous approchons de la CG 36, nous aimerions inviter les lecteurs de Ecojesuit à partager avec nous leurs attentes sur ce que devrait être notre engagement et la réponse aux défis environnementaux et l’inclusion sociale. Nous avons commencé avec cet article une série de réflexions que nous espérons promouvoir le dialogue et chercher des terrains d’entente et le bien commun.