Ressources naturelles et minérales: Une réflexion théologique

Ressources naturelles et minérales: Une réflexion théologique

Crédit photo: Commission européenne, 2010
Crédit photo: Commission européenne, 2010

Frank Turner, SJ (Traduit de l’Anglais par Rodrigue Ntungu, SJ)

«Pour croire en vous, je dois croire en l’amour et la justice; et croire en ces choses est mille fois mieux que prononcer votre nom.» (Attribué à Henri de Lubac, SJ)

Le thème de la justice dans le domaine des ressources naturelles et minérales est devenu un pilier central du Réseau mondial ignatien de Plaidoyer sur la gouvernance des ressources naturelles et minérales (ou GIAN-GNMR) et met l’accent sur le plaidoyer dans ce domaine.

Cet article est à la fois une introduction et une version abrégée d’un article écrit en 2014 et peut être téléchargé dans la section «Ressources» de la page d’accueil GNMR. Le document met l’accent sur la relation de la foi religieuse avec le plaidoyer sur l’une des questions cruciales de notre temps. Comme le document complet, cette version abrégée comporte cinq sections.

Théologie

La théologie ne parle pas seulement la «langue de Dieu» ni son objet principal d’élaborer sans cesse des doctrines formelles de l’Eglise. Elle réfléchit sur l’ensemble du domaine de sens constitué par Dieu, le cosmos, la société humaine et chaque personne en soi, et sur la relation entre ces quatre pôles. Le sens religieux est le sens humain, de même que, pour les croyants, tout l’humain est intrinsèquement religieux. Les sources de la révélation théologique sont la Bible – et surtout le Nouveau Testament (bien que ce soit impossible à comprendre sans les Écritures hébraïques); le long héritage chrétien (pas simplement «la tradition», mais une confluence de nombreuses traditions); et l’expérience personnelle de la vie individuelle et collective de chaque croyant.

Ces différents flux s’enrichissent mutuellement. Par exemple, prendre au sérieux les Écritures juive et chrétienne, c’est lire notre propre expérience en partie à travers les lentilles de l’Écriture, mais aussi être conscient que nous lisons nécessairement les Ecritures à travers les lentilles de notre propre compréhension.

La réalité sociale peut elle-même être une révélation pour nous. Le Concile Vatican II a souligné l’obligation de l’Eglise «en tout temps, de lire les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile … Nous devons être conscients et comprendre les aspirations, les désirs et souvent le caractère dramatique du monde dans lequel nous vivons.» (Gaudium et Spes (1965) Section 4)

Une de ces «caractéristiques dramatiques» de notre temps, dans notre monde globalisé et profondément interconnecté, est la question de l’impact social et environnemental de l’exploitation des ressources naturelles: ce sujet n’est pas seulement l’objet, mais peut devenir aussi la source de notre pensée théologique.

Co-Création

Les ressources naturelles de la terre font partie de «l’ordre créé.» Par «ordre», l’on entend ici non pas un régime répressif de «loi et ordre», mais un ordre continu des pratiques et des besoins de l’homme, qui est toujours en même temps une résistance au «désordre» qui menace constamment nos vies. Nous sommes appelés à «co-créer», à prendre part à ce processus divin continu d’«ordonner.»

Nous sommes donc appelés à utiliser les ressources créées de manière à ce que notre vocation humaine (de l’amour de Dieu et du prochain) soit servie. «Les choses sur la face de la terre» (comme Saint Ignace les appelle), sans perdre leur signification intrinsèque ou leur valeur, reçoivent simultanément une signification humaine, plutôt que d’être simplement imaginées comme instruments : par exemple, uniquement comme moyen de profit financier.

Prenons la «ressource naturelle» fondamentale – la terre elle-même. Une société minière, en particulier là où elle n’est relativement pas contrainte par des règles, peut dépouiller les minerais de la terre, polluer l’eau de survie et s’en aller une fois ses affaires accomplies. La terre elle-même est abandonnée, stérile, empoisonnée. Les habitants locaux sont privés de sa subsistance et de leurs moyens de subsistance. Ce mode de «l’utilisation», qui est également la dévastation, symbolise une morale et (pour les croyants) une dégradation théologique.

Péché

La théologie décrira cette dégradation comme un péché. En anglais, le mot «péché» est parfois lié au verbe «to sunder», séparer : dans le cas d’une exploitation minière comme celle envisagée ci-dessus, il s’agit de séparer les éléments qui doivent être gardés ensemble; le bénéfice d’une société du bien du peuple sur lequel elle exerce un impact, et du soin raisonnable de la terre qu’elle exploite: par conséquent, dans l’entendement chrétien, elle «offense Dieu.»

Notre illustration à partir de l’exploitation minière traduit ce que Jean-Paul II appelle «structures du péché.» En fait, notre notion commune de «péché» uniquement comme une action ou une omission délibérée est une idée secondaire, dérivée. Dans Romains 5, Paul décrit le péché d’abord comme une force qui entre dans le monde et apporte «la mort» – la déshumanisation ultime. «Tous ont péché», dit-il. Toute notre pensée, toute notre action se déroule dans un monde où le péché nous précède. Jésus lui-même, celui qui «était comme nous en toutes choses, excepté le péché,» souffre encore du péché du monde (2 Corinthiens 5: 21).

Ce n’est pas, bien sûr, que les entreprises sont pécheresses et les membres de l’organisation GIAN sont sans péché. Un sens du péché, et de nous-mêmes en tant que pécheurs, peut donner à l’humanité de la profondeur et de la compassion à nos instances éthiques et à notre analyse politico-économique.

Personne ne crée cette «structure du péché» collective, personne ne peut seul se tenir en dehors d’elle, puisque nous partageons tous cette réalité humaine fondamentale, c’est un «système.» Mais, chacun d’entre nous est né en elle et y contribue, et il est renforcé par des actes individuels vicieux.

Grâce

Puisqu’il y a des «structures du péché», il y a donc des «structures de grâce.» Pourtant, la grâce n’est pas seulement le côté inverse du péché. Si le mal est une «force», ainsi la grâce est un «pouvoir pour de bon.» Dans la foi chrétienne, la grâce a une finalité que le péché n’est pas. Comme le souligne saint Paul, «là où le péché a abondé, la grâce a surabondé» (Romains 5:20). De même que «tous ont péché,» de même tous peuvent recevoir et transmettre la grâce. La grâce est le don d’une auto-communication de Dieu, de sorte que tous les êtres humains peuvent partager la vie même de Dieu.

Par conséquent, aucune zone de la vie humaine ne se situe en dehors du domaine de la grâce. Dans ce monde où la bonté est toujours en partie une résistance active au mal, la vie politique et économique tend vers ce que le théologien Rowan Williams appelle «la justice parfaite de dépendance mutuelle en communion» ou elle incarne les réalités du péché, comme examiné ci-dessus. Plus précisément, en évitant tout système binaire brut, nos vies sont toujours prises dans des processus où le bien et le mal coexistent et s’affrontent.

Cet affrontement entre «péché» et «grâce» fonctionne en termes laïques et traverse toutes les frontières humaines. Ainsi les entreprises peuvent dépouiller la terre, elles peuvent payer leurs travailleurs injustement pour effectuer des tâches sales et dangereuses, elles peuvent siphonner les bénéfices excédentaires tout en évitant les obligations fiscales et douanières. Au sein de ces mêmes entreprises, des contre-forces actives promeuvent des pratiques socialement et écologiquement responsables.

Les populations locales qui défendent leurs communautés et les organisations de la société civile qui travaillent avec elles peuvent nous inspirer par leur dévouement et leur courage. Mais, «tous ont péché» et les dirigeants locaux peuvent rechercher leur profit personnel au détriment des autres, et être achetés par la richesse des entreprises.

Les organisations de la société civile confrontées à leurs propres tentations à la malhonnêteté ou à l’autoglorification peuvent négliger la consultation de la base, écraser les collectivités et les affaiblir.

Les organes de réglementation gouvernementaux et autres sont indispensables: là où ils sont inefficaces, le secteur des ressources est vulnérable à la corruption et aux malversations infinies. Mais les politiciens et les fonctionnaires aussi peuvent parfois trop défendre d’abord leurs propres intérêts et leur propre pouvoir.

Comme personnes, nous pouvons aspirer à un ordre économique mondial équitable, tout en restant attachées à nos privilèges économiques non acquis, et ainsi résister à tout changement pas pour nos propres intérêts immédiats.

Prendre en considération à la fois le péché et la grâce implique de rester ouvert à notre propre conversion continue. Rester libre des illusions sur notre propre vertu et notre propre impact social est en soi une lutte par la grâce.

Espérance, Tragédie, Libération

La croyance que «la grâce a davantage surabondé» n’est pas naïve. Saint Paul construit son argument à la lumière de la Résurrection du Christ, sans jamais minimiser l’horreur de la crucifixion qui est un «scandale pour les Juifs et folie pour les païens» (1 Corinthiens 22-25)

Lutter avec le pouvoir de la grâce à «réparer le monde» (en l’espèce, le monde industriel et commercial de l’extraction des ressources), n’offre aucune échappatoire à la tragédie. Un nombre incalculable de vies a été sacrifié à travers l’histoire de l’exploitation minière: dans tous les pays, par le biais des conditions dangereuses et des accidents évitables; dans de nombreux pays par la violence endémique dans les environnements où le pouvoir des entreprises ou militaire opère sous trop peu de contrainte ou de réglementation, et où les entreprises peuvent même employer les groupes armés illégaux pour protéger leur investissement, peuvent empoisonner afin de détruire à la fois la santé humaine et les poissons, ainsi que les réserves animales.

Ce «réalisme» n’implique nullement que les efforts pour la justice sont vains. L’extraction du charbon est dangereuse partout. Mais elle est moins dangereuse aux Etats-Unis en 2015 qu’en 1915, et moins dangereuse aujourd’hui aux Etats-Unis qu’en Chine ou en Russie. Les catastrophes écologiques affligent de nombreuses régions du monde, mais l’impact sur les communautés affectées et les réponses des gouvernements et des entreprises diffèrent considérablement selon les régions.

Le plaidoyer est une décision pour l’espérance. Toute campagne peut sembler invraisemblable dans un monde où 80% des ressources de la planète sont réquisitionnées par les plus riches qui représentent 20% de la population mondiale, où ce quasi-monopole du pouvoir est converti en domination des organismes de réglementation internationaux, et où trop de consommation par ce 20% devient vite un gaspillage. Pourtant, la vertu théologale (et la grâce) de l’espérance cherche et trouve des moyens de promouvoir le bien humain et de limiter le préjudice causé à ceux qui souffrent le plus. Ceci est toujours possible.

La façon dont nous percevons le monde compte. Ceux qui voient et comprennent que les ressources du monde sont pour les gens du monde seront fidèles à travailler pour «l’ordre» qui rejette le désordre fondamental.

Nous continuons à vivre dans le monde éloquemment décrit par Saint Paul dans Romains 8: 22-25:

«Nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. Et ce n’est pas elle seulement; mais nous aussi, qui avons les prémices de l’Esprit, nous aussi nous soupirons en nous-mêmes, en attendant l’adoption, la rédemption de notre corps. Car c’est en espérance que nous sommes sauvés. Or, l’espérance qu’on voit n’est plus espérance: ce qu’on voit, peut-on l’espérer encore? Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance».

Frank Turner, SJ
Frank Turner, SJ

Frank Turner, SJ est impliqué au Centre social jésuite européen en tant que secrétaire pour les Affaires européennes, en s’engageant avec les structures politiques européennes pour répondre aux préoccupations de justice sociale dans l’UE et au-delà. Il a enseigné dans les universités de Manchester et Londres tout en vivant dans les zones de pauvreté sociale. À l’été 2014, il a accepté un contrat d’un an en tant que professeur de la pensée sociale catholique au Centre Lane, Université de San Francisco à San Francisco, Californie, USA.

 

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