Science de la durabilité pour la recherche et la conservation des pollinisateurs en milieu urbain

Science de la durabilité pour la recherche et la conservation des pollinisateurs en milieu urbain

L’usage urbain des terres affecte le service écologique que les abeilles fournissent gratuitement à travers la pollinisation. Crédit photo: Center for Sustainability
L’usage urbain des terres affecte le service écologique que les abeilles fournissent gratuitement à travers la pollinisation. Crédit photo: Center for Sustainability

Damon Hall, Andrea Burr, and Nicole Schaeg (Traduction: Daniel Syauswa, SJ)

En notre qualité de chercheurs en sciences de la durabilité au Center for Sustainability à Saint Louis University, une institution jésuite à Saint Louis, Missouri, Etats-Unis, la récente série d’articles parus dans Ecojesuit nous a poussés à réfléchir sur nos propres efforts. Ces articles ont avancé un dialogue transformateur sur les valeurs et la science de la durabilité.

Ce fut en relation avec le processus de Dialogue de Stockholm  que Réseau Ignacien pour le Pladoyer Mondial sur l’Ecologie (GIAN-Ecologie) avait facilité et réuni à Stockholm, en Suède à la fin Novembre 2015. Pour participer à cette conversation importante, nous vous proposons cette discussion sur la façon dont les principes dans la science de la durabilité façonnent notre travail sur la conservation urbaine d’insectes pollinisateurs.

Pendant les 15 dernières années, les sciences de la durabilité ont cherché activement des solutions aux défis socio-écologiques complexes du monde [1, 2]. Cette nouvelle approche de la recherche est enracinée dans la recherche qui considère les problèmes en termes de systèmes où les humains et l’environnement sont interconnectés [3]. La complexité de ces problèmes exige des équipes de scientifiques issus de différentes disciplines et qui sont prêts à collaborer avec les parties prenantes locales qui sont les plus familiers avec le système.

L’objectif est de développer des conceptualisations partagées du système pour l’apprentissage, la prise de décision, ainsi que d’autres changements qui conduisent le système vers la durabilité [4, 5]. Ainsi, la connaissance pour la transition vers la durabilité doit être significative pour les communautés qui vivent à l’intérieur et qui dépendent du contexte où les problèmes se posent, afin de faciliter les changements de comportement, de politique et de gouvernance [4-9].

Bien que la science la durabilité ait été critiquée pour n’avoir pas abordé explicitement la question des valeurs dans la recherche, les hypothèses sous-jacentes (telles que la pensée systémique, la participation des parties prenantes, et de connaissances utilisables pour la résolution de problèmes) fonctionnent comme des principes pour la conception et la pratique scientifique [10]. En mettant l’accent sur les connaissances pratiques plutôt que de la science pour elle-même, on produit une science très différente.

La recherche en sciences de la durabilité n’est pas familière des chercheurs qui ont une formation traditionnelle dans les sciences humaines, sociales et les sciences biophysiques qui produisent des connaissances pour les audiences internes. De par sa conception, la science de la durabilité est axée sur les problèmes, cherchant des connaissances pratiques à l’intersection de la science et de la société [2, 6]. Cette science partage l’appel de Laudato si’ invitant des changements au sein de la science pour soutenir les transformations sociétales.

Une tâche centrale pour faire avancer une science de la durabilité consiste à développer un ensemble de connaissances construites sur des études de cas empiriques. Cela permet aux chercheurs de documenter des approches pratiques et des leçons qui peuvent être transférables à d’autres problèmes et d’autres contextes [3, 4, 7, 8, 11]. Actuellement, notre équipe cherche à faire progresser cette nouvelle science par la recherche de cas qui s’attaquent aux pertes globales d’abeilles.

Tous les êtres humains dépendent des insectes pollinisateurs pour la production de fibres, de fruits et de légumes contribuant à la fois à la quantité et à la qualité de nombreuses cultures telles que les courges, les tomates et les poivrons. Plus précisément, les abeilles (Hymenoptera: Apoidea) en tant que pollinisateurs sont essentiels à la fois écologiquement et économiquement pour les cultures sauvages et domestiquées globalement [16-18].

La pollinisation des abeilles est le service écologique le plus précieux fourni par la faune. Pour la plupart des gens et des économies, le travail des abeilles passe inaperçu. Pourtant, l’Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) estime que, des 100 espèces des cultures fournissant 90% des approvisionnements alimentaires pour 146 pays, 71 sont pollinisées par les abeilles, principalement par les abeilles sauvages [19]. En plus de l’abeille européenne bien connue (Apis mellifera), il y a environ 25.000 espèces d’abeilles sauvages dans le monde entier.

La santé des insectes pollinisateurs à l’échelle mondiale (diversité des espèces et abondance) est en déclin [12-14]. Les causes du déclin sont une combinaison d’un certain nombre de décisions sur l’aménagement des terres [20, 21] la fragmentation de l’habitat, le manque de ressources alimentaires, l’usage des pesticides, l’effet des parasites et des maladies [16-18].

Pourtant, au milieu de cette «crise de santé des pollinisateurs», les chercheurs trouvent étonnamment diverses communautés d’abeilles sauvages dans diverses villes à travers le monde telles que Berlin, en Allemagne [22], Cardiff et Londres au Royaume-Uni [23-25], Melbourne, en Australie [26], la province de Guanacaste, au Costa Rica [27], de Vancouver, au Canada [28], Chicago, IL [29], New York City, NY [30, 31], Phoenix, AZ [32], et à San Francisco, CA aux Etats-Unis [33]. Dans plusieurs cas, plus d’espèces se trouvent dans les zones urbaines que les zones rurales avoisinantes terres [24, 25, 30, 32].

Des études indiquent que le facteur clé dans la santé des pollinisateurs est la présence et la disponibilité des fleurs [25]. Ceci suggère que les efforts de conservation visant à accroître les ressources florales pour les pollinisateurs dans les villes peuvent avoir un impact positif sur l’amélioration de la diversité des abeilles et sur leur abondance. En outre, lorsque les populations d’abeilles urbaines sont en bonne santé, un effet de contagion peut se produire là où les abeilles re-colonisent les terres rurales [34].

Guidés par les principes de la science de la durabilité, nous nous efforçons de comprendre les relations entre la santé des insectes pollinisateurs et l’utilisation des terres urbaines. Notre projet partage des questions de recherche aux travers des domaines de recherche en écologie, et dans les sciences sociales en vue de:

  1. Comprendre ce qui explique les résultats de diverses espèces d’abeilles dans les villes et
  2. Comment les gens peuvent encourager l’amélioration de l’habitat pour la conservation des abeilles en baisse.

Nous pilotons cette recherche à Saint Louis, Missouri, pour examiner les liens entre l’abondance et la diversité des abeilles sauvages, et les facteurs sociaux et culturels qui influencent la prise des décisions sur l’utilisation des terres en milieu urbain. Une compréhension plus socialement robuste de la ville comme un système socio-écologique dans la perspective des abeilles nous permettra d’expérimenter des interventions qui pourront mener le système vers la durabilité.

Notre étude contient 15 sites d’étude à long terme au sein de Saint Louis composés de fermes urbaines, des jardins communautaires, et des sites de restauration des prairies. Ces sites sont échantillonnés pour la diversité et l’abondance des espèces d’abeilles, et cela à un rythme hebdomadaire tout au long de l’été.

Pour comprendre les dynamiques sociales entourant les sites écologiquement échantillonnés, nous avons parlé avec les personnes qui gèrent ces sites. Nous avons mené 30 interviews en profondeur avec les décideurs pendant l’été de 2015 [35]. Les participants viennent de divers horizons, expertise et statut socioéconomique, qui influencent ce qu’ils plantent.

Pour mieux comprendre ce système socio-écologique, nous avons analysé la relation entre les tendances de la couverture végétale et les structures socio-économiques au niveau des groupes de blocs de recensement des États-Unis en utilisant des outils développés pour l’analyse marketing [36, 37]. Cette approche relie nos données en sciences sociales et les informations écologiques qui nous permettent de déterminer là où les stratégies d’intervention sont le plus nécessaires.

Si nous utilisons la littérature académique des villes semblables au contexte du Midwest américain, nous pouvons alors concevoir, de manière appropriée, des initiatives ciblant des endroits précis ayant une faible diversité d’espèces pour encourager les résidents dans l’adoption de pratiques d’aménagement paysager de pollinisateurs. Les données du champ social sont utilisées pour concevoir des communications qui sont importantes pour la vie quotidienne de ceux qui vivent à proximité des sites du projet. En outre, une surveillance continue des abeilles nous permet d’évaluer l’efficacité de l’engagement communautaire pour la conservation en termes de mesures de la diversité des espèces d’abeilles.

Cette recherche illustre la valeur d’écouter les acteurs locaux et la façon dont les valeurs sociales peuvent être considérées activement dans la recherche [38]. Ce travail informe notre étude pilote en même temps qu’il donne un exemple de cas empirique pour les méthodologies en science de la durabilité [7, 8, 11].

Alors que nous continuons ce travail d’intégration en 2016, nous apportons notre contribution au changement de paradigme scientifique décrit dans Laudato si’ et qui renforce le fait que, en tant qu’êtres humains, nous sommes intrinsèquement liés et biologiquement dépendants de la nature. Avec 70% de la population mondiale qui vivra en zones urbaines d’ici à 2050 [36], la science de la durabilité joue un rôle important en facilitant la façon dont nous devrions urbaniser (et sub-urbaniser) en restant conscients que nous sommes interconnectés par nature.

Les humains sont les «façonneurs» d’environnements urbains les plus importants. Par conséquent, avec un fondement ferme dans la recherche empirique, nous pouvons établir de nouvelles règles et concevoir des moyens d’urbanisation qui prennent en compte les insectes pollinisateurs et les autres fonctions écologiques critiques, apparemment anodines.

Damon Hall est professeur adjoint de Durabilité au centre pour la Durabilité à l’Université de Saint Louis et peut être joint par e-mail dmhall(at)sle.edu. Ses co-auteurs sont Andrea Burr, un chercheur PhD, et Nicole Schaeg, un chercheur MS, dans la Science de la Durabilité.

Les références:

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