
Andy Otto
Implantée sur près de 245 hectares de terres arables à Guelph, en Ontario au Canada, la Maison Loyola est une maison de retraite des Jésuites où j’ai fait une retraite de huit jours. L’étendue des terres, l’agriculture, et des kilomètres de sentiers en font un lieu idéal pour une maison de retraite. En fait, les retraitants sont encouragés à se promener et prier avec la terre.
En pleine retraite, j’ai même aidé des stagiaires agricoles à récolter 54,5 kgs de carottes et de betteraves. Après quelques heures à creuser et à tirer, mes mains étaient âpres et sales, et j’ai eu une nouvelle appréciation de l’origine des aliments que je prends tant comme allant de soi au supermarché.
Actuellement, la plupart d’entre nous qui vivons dans les pays développés et à proximité des grandes villes, sommes séparés de la terre. Nous perdons de vue notre appel commun à l’harmonie avec la nature, c’est-à-dire vivre et prier avec la terre.
Vivre avec la terre
Dans son message pour la Journée mondiale de la paix en 2010, le pape Benoît XVI a appelé tous les peuples à cultiver la paix par la protection de la création. Il a dit que ‘la Chute’ dans le récit de la Genèse, nous a rendus sourds à notre appel inné à être les intendants et les protecteurs de la terre. L’humanité est devenue égoïste et exploite la création. L’harmonie entre les êtres humains et la terre a été rompue. Le commandement originel de Dieu, dit le pape, était un “appel à la responsabilité.” Et quelle est notre réponse? Un cinquième de l’humanité consomme 86 pour cent des ressources de la terre.
Il y a environ 10.000 ans, le développement de l’agriculture apporta de la nourriture de façon plus efficiente à plus de gens. Mais les parcs d’engraissement, les pesticides, et les ouvriers exploités que la production moderne de masse utilise ont à nouveau révélé notre péché et notre dissonance avec la terre. Heureusement, nous voyons des signes d’espoir dans notre intendance de la terre. Aujourd’hui, nous assistons à un nouveau mouvement de plus grande intendance qui met l’accent sur l’agriculture locale, la réduction volontaire de la consommation personnelle, les compensations aux émissions de carbone, continuant le cycle naturel de renouvellement par compostage, ainsi que l’utilisation des matériaux et des méthodes de production durables.
Les évêques Américains, dans leur appel à système agricole plus juste, encouragent des politiques et des lois qui promeuvent “les pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et durables.” Enracinés dans l’appel divin à la responsabilité commune de l’environnement, les évêques implorent les décideurs à considérer que “protéger la création de Dieu doit être un objectif central des politiques agricoles.” Et l’Eglise catholique a longtemps défendu la dignité de la personne humaine, y compris les petits agriculteurs de subsistance qui luttent pour survivre.
À Guelph, la Ferme Ignace loue des terres à des agriculteurs locaux, offre des parcelles de jardins communautaires pour des particuliers, et dispose d’un programme d’agriculture communautaire (CSA). Grâce à la CSA, les entreprises locales et les particuliers investissent dans une part de la ferme et ses opérations. En retour, ils reçoivent chaque semaine des produits récoltés de la terre. La mission de la ferme comprend une plus grande focalisation sur les personnes par le biais des programmes de stages, la formation en culture biologique, et la cohésion de la communauté locale.
Le pape Benoît XVI a dit, “Quand ‘l’écologie humaine’ est respectée dans la société, l’écologie de l’environnement en bénéficie également.” Le pape François y a fait écho lors des Journées Mondiales de la Jeunesse au Brésil quand il a dit aux jeunes que la crise de l’environnement est étroitement liée à la crise des relations humaines brisées. C’est pourquoi, dans le contexte d’une société politique, il est impératif de focaliser à la fois sur le consommateur et l’agriculteur. L’enseignement social catholique exprime clairement ce besoin, appelant à la justice commutative qui exige l’équité dans le commerce et les salaires. Ce même enseignement exige aussi une justice distributive pour que toutes les personnes aient accès à la nourriture et aux fruits de la terre. La justice sociale aussi doit être examinée dans le contexte de l’agriculture mondiale.
Daniel Groody, dans son livre, La Mondialisation, la Spiritualité, et la Justice: Naviguer le Chemin vers la Paix, dit, “Quand nous oublions notre lien fondamental à la terre, nous perdons quelque chose de nous-mêmes.” Il n’est pas étonnant que la religion primitive fût si étroitement liée à la terre. Les peuples indigènes de la Cordillère des Andes, par exemple, ont un profond respect pour la Pachamama, la Terre-Mère. Leurs rituels impliquent les riches symboles de la nourriture, de la boisson, des plantes et d’autres choses de la terre. Ils grillent la Pachamama en retournant à la terre par l’aspersion ou l’enfouissement de la nourriture, en substance, “nourrissant la terre.” Cette révérence et ce respect pour la terre résonne avec l’appel à l’intendance.
En effet, le christianisme aussi est lié à la terre. L’exhortation de saint Ignace d’utiliser toutes les choses matérielles (y compris les choses de la terre) dans la mesure où elles glorifient Dieu a toujours fait partie de l’appel initial de Dieu à une intendance responsable. Et, la nature sacramentelle catholique fait intervenir du pain et du vin, les deux venant de la terre, à la table eucharistique, et de l’eau et de l’huile sur le corps des nouveaux baptisés.

Prier avec la terre
John Muir avait une fois écrit, “Des milliers de fatigués, de stressés, de gens sur-civilisés commencent à réaliser qu’aller vers les montagnes revient à aller à la maison; que la nature sauvage est une nécessité; que les parcs de montagne et les réserves naturelles sont utiles non seulement comme source de bois et de rivières qui irriguent, mais comme des fontaines de vie.”
A la Maison Loyola, j’ai découvert à frais nouveau le respect pour la terre et le Dieu de la création. Pour moi, la terre est devenue comme un texte de l’Écriture, vivant et respirant ses paraboles. Terre ruminée, savourée, et contemplée, on accède à de nouveaux entendements du Royaume. Comme je méditais sur les paraboles de Jésus concernant l’agriculture et la moisson (“Le Royaume est comparable à…”), Dieu devenait l’enseignant, utilisant la nature comme l’histoire. Le Jésuite Anthony de Mello partage la sagesse de Muir que tout chercheur de la nature a sans doute découverte: “Quand votre corps s’est trop longtemps retiré de ses éléments, il se dessèche, devient mou et fragile, car il a été isolé de sa force vitale. Lorsque vous êtes trop longtemps séparé de la Nature, votre esprit se dessèche et meurt parce qu’il a été arraché à ses racines.”
De Mello met en harmonie ce que l’on pourrait appeler la Liturgie de la Terre: ses cycles et ses motifs donnent naissance non seulement à des plantes et des animaux croissant et mourant, mais aussi le plan caché de notre être, comme le psalmiste le sent dans le Psaume 8. “Quand je vois tes cieux, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu as mis en place – Qu’est-ce que l’homme pour que tu te souviennes de lui, et un fils de l’homme que tu t’inquiètes pour lui?” (Ps. 8,4-5) Tout comme la lune et les étoiles, nous faisons partie de la prière de la Création, une liturgie toujours en déploiement.
Jésus dit dans l’Évangile, les oiseaux ne stockent pas de nourriture, les fleurs ne s’inquiètent pas au sujet des vêtements (Matt 6,26). Dans le même sens, nous apprenons que la terre ne vit qu’au présent. Dans la nature, rien n’est forcé. De Mello dit que la nature nous enseigne que nos vies doivent progresser sans pression. N’est-ce pas la grâce? La Liturgie de la Terre est effectuée par l’ensemble de tous ses acteurs: les plantes, le soleil et la lune, la pluie, la faune et la personne humaine. Le pape Benoît XVI parle de la création contenant en son sein une “grammaire” qui détermine comment les êtres humains interagissent avec elle. L’agriculteur, le consommateur, et le marcheur de piste jouent chacun ou chacune les rôles qui lui sont attribués. C’est cette grammaire qui doit permettre à l’humanité de couler avec la nature et l’environnement. Elle doit nous rappeler que nous sommes plus que nos biens et nos idées. En bref, nous sommes un avec la création et devons vivre de cette façon, lâchant les attaches humaines qui nous lient vers le bas.
En retraite, ce n’était pas les mots que j’ai priés qui ont dévoilé cette liberté et ce détachement de ces choses qui ont fini par me posséder. C’était la simple prise de conscience des lis des champs, des oiseaux du ciel, et de la nourriture qui était servie dans mon assiette à chaque repas. En dehors du centre de retraite, se trouvent les “Stations des Religions du Monde” constituées de panneaux représentant chaque grande religion du monde. Sur l’un d’eux était écrite cette prière amérindienne: “Grand Esprit, aide-nous à apprendre les leçons que tu as cachées dans chaque feuille et chaque rocher.” L’idée de Dieu en toutes choses est loin d’être une nouveauté; elle est ancienne. Lorsque nous devenons conscients de la présence de Dieu dans toute la création nous dévoilons la grâce de la liberté – libre d’attache – une grâce qui ne vient pas de nos propres efforts, mais de la simple harmonie avec la création de Dieu.
“Beaucoup de gens font l’expérience de la paix et la tranquillité, du renouvellement et de la redynamisation, quand ils entrent en contact étroit avec la beauté et l’harmonie de la nature,” disait le Pape Benoît XVI en 2010. “Il existe une certaine réciprocité: comme nous prenons soin de la création, nous nous rendons compte que Dieu, à travers la création, prend soin de nous.”
Cela commence par l’écoute de la terre. La Liturgie de la Terre, comme toute liturgie, coule naturellement et dans la prière. Le soleil se lève et se couche, les saisons vont et viennent, et chaque récolte a un nouveau début l’année suivante. La nature suit juste son cours. Et la personne humaine, qui bénéficie de cette liturgie magnifique, doit être attentive aux façons dont la nature lui parle.
Quand nous percevons la terre et toute la création comme un don de Dieu pour nous, nous pouvons mieux comprendre notre valeur et notre vocation en tant qu’êtres humains. Notre réponse à ce don est notre réponse à Dieu et elle commence, d’abord et avant tout, avec la conscience de la Terre, des cycles de la nature, et des gens qui cultivent notre nourriture.
Mon temps à Guelph a permis d’enclencher cette prise de conscience, mais quoi de plus? Pour beaucoup, leur prise de conscience conduit à de petites et lentes étapes d’une vie simple, de l’attention, peut-être l’achat de crédits carbone, le marché dans les fermes locales, en devenant membre de la CSA, en compostant ou en achetant du café équitable ou de commerce de proximité. Et peut-être plus important encore, notre réponse au don de Dieu inclut la prière dans et avec la nature, dans la rue ou dans le parc. A ce moment-là, la terre peut devenir notre enseignant.
Andy Otto vit actuellement à Providence, Rhodes Island, aux Etats-Unis et a obtenu un diplôme de master en théologie et ministère à l’École de théologie et ministère de Boston College. Il blogue sur Dieu en Toutes Choses et peut être joint à andy.otto@gmail.com.